L’époque où le cerveau des élèves était une boîte noire que l’on ne se préoccupait pas d’explorer est révolue. Aujourd’hui, les neurosciences nous fournissent de précieuses informations sur la/les façon(s) dont apprennent les élèves. Il n’est plus possible de les ignorer si l’on souhaite affiner la construction des apprentissages… Dans ce premier volet, Michel Freiss se concentre sur l’importance du jeu, du jeu de rôle, du gestuel et de l’interaction, qui ont tous des effets positifs sur notre capacité à apprendre. Dans un second volet, il approfondira les apports des neurosciences pour l’apprentissage de la production orale en langue étrangère.
Les dernières avancées en neurosciences cognitives, autant qu'en anthropologie et histoire de l'humain, nous renseignent sur la relation entre le geste de la main droite et la gestuelle articulatoire par le biais de l'aire de Broca (production de la parole). En analysant l'histoire de l'évolution du cortex humain, on comprend comment la parole s'est jointe peu à peu au geste, avant de le supplanter dans nos sociétés modernes, hormis la langue des signes.
En ce sens, les interactions et les jeux de rôle, vont permettre de stimuler parmi les 86 milliards de neurones constituant la matière grise, les neurones consacrés à l'articulation et à la phonation d'une nouvelle langue accentuelle comme l'anglais auprès des jeunes apprenants. L'exploitation du jeu, de l'expression théâtrale, va se mettre naturellement au service de la dimension phonologique et phonétique de l'apprentissage linguistique, en levant notamment certains blocages, autant physiologiques que psychologiques, par la production d'une hormone appelée la dopamine. Celle-ci est un neurotransmetteur qui va accroître l'apprentissage et la mémorisation en favorisant les quelques milliers de connexions synaptiques possibles d'un neurone voisin à l'autre.
Rappelons également que l'anglais étant une langue accentuelle, les paramètres corporels nécessaires à l'accentuation (configuration glottale, effort musculaire de la racine de la langue, vocalisation plus forte, etc.), vont entraîner la sécrétion d'une autre hormone appelée le cortisol ou hormone du stress. Celle-ci au contraire de la dopamine va bloquer les connexions synaptiques.
Autrement dit, le caractère ludique de l'enseignement / apprentissage renforce la sécrétion de dopamine, stimule le circuit de la récompense et diminue d'autant le stress, qui n'est pas juste mental, mais bien hormonal et physiologique.
En effet, au sein du cerveau à la fois moteur et directeur, mental et corporéité ne font qu'un à l'inverse de la version cartésienne, esprit versus corps. L'apprentissage de l'anglais oral se fait par le corps, et l'enfant apprend véritablement si la tâche n'est ni trop facile, ni trop difficile, ce qui stimule la curiosité, de laquelle naîtra la motivation et l'envie de s'investir.
En ce sens, le jeu de rôle va permettre au je identitaire de se forger un autre système linguistique, dont la règle d'or est finalement l'expressivité et l'affect mis en avant par les nombreux travaux d'Antonio Damasio :
"We are not thinking machines that feel; rather, we are feeling machines that think."
Le langage est ludique, comme le rappelait d'autre part, le philosophe autrichien Ludwig Wittgenstein, dans Le cahier bleu. En effet, le jeu présente cette faculté de maintenir l'attention de l'apprenant, tout en indiquant le contexte permettant la mémorisation à long terme (MLT) d'un nouveau champ lexical via l'hippocampe, mais aussi d'appuyer les mouvements mélodiques ou accentuels d'une manière naturelle, par les Tongue Twisters notamment.
Conscience et mémoire
La conscience est toujours conscience de quelque chose. L'apprentissage du système accentuel de l'anglais oral va nécessiter un effort conscient, du moins dans les premiers temps, avant de laisser peu à peu la place à la mémoire procédurale moins coûteuse en énergie cérébrale. Cette mémoire est située dans une zone du cerveau dédiée à des automatismes. Avec l'entraînement et la répétition, l'enchaînement des gestes articulatoires qui composent les sons du langage, va s'effectuer à faible coup d'énergie et instantanément de façon inconsciente. Ainsi, la conscience intervient lorsqu'il faut traiter des faits nouveaux, inhabituels ou complexes, lorsqu'il s'agit de nouveaux phonèmes et gestes articulatoires par exemple. Puis les exercices systématiques permettront de passer à des réactions motrices réflexes prises en charge par des agents ''zombies'' spécialisés et surentraînés, sortes de réflexes corticaux.
La problématique qui en découle pour le didacticien / pédagogue est alors la mobilisation préalable de l'attention et de la conscience chez l'apprenant, problématique déjà mis en avant par Maria Montessori qui préconisait avant toute chose une éducation à l'attention, intuition maintenant confirmée par les neurosciences cognitives. On sait par ailleurs que le cerveau, même s'il ne représente que 3 % du poids du corps, consomme au moins 20 % de l'énergie produite par ce dernier, et prend, consciemment ou non, plus de six mille décisions par jour en moyenne, en utilisant tantôt séparément, tantôt en synchronie, l'axe gauche / droit (axe cognitif), l'axe arrière / avant (axe métacognitif), ou l'axe haut / bas (axe affectif). Comme nous venons de le voir, les activités conscientes sont nettement plus énergivores que les états inconscients et purement mécaniques des agents zombies ou des neurones miroirs, (découverts par l'équipe de Giacomo Rizzolatti en 1995), lesquels permettent l'apprentissage par simple imitation. Si l'apprentissage linguistique nécessite un investissement énergétique important au point de vue de l'attention et de la conscience, il faudra à l'enseignant trouver des éléments facilitateurs.
Cerveau social
Dans l'apprentissage oral de la langue étrangère anglaise, les interactions jouent un rôle capital car le cerveau humain est un cerveau social. L'imitation, la reproduction de la gestuelle, de la mimique articulatoire des anglophones et des enseignants en milieu institutionnel, ainsi que la coopération au sein des groupes d'apprenants, doivent inciter les enseignants à privilégier certaines méthodes pédagogiques. L'avènement récent de l'imagerie cérébrale, (IRMf), ou encore de l'imagerie de voltage, entre autres, permet en effet d'évaluer le fonctionnement du cerveau en direct lors des phases d'apprentissage.
La neurodidactique des langues n'est pas une nouvelle théorie de l'enseignement, mais bien une technique pragmatique à mettre en œuvre sur le terrain de la classe, de façon expérimentale et active, en s'appuyant sur les acquis neuroscientifiques. Ce travail donne des pistes pour mettre fin à l'enseignement magistral et verbal, au profit de l'implication de l'apprenant, et du travail par l'action, seul ou en groupe, comme les pédagogies alternatives et Maria Montessori l'avaient si bien compris, bien avant l'avènement des neurosciences cognitives. En ce sens, la didactique des langues et de l'anglais oral en particulier, doit se réinventer vers une dimension neurodidactique, plus proche de la réalité du fonctionnement des différentes aires agissant en interaction permanente dans le cerveau des apprenants.
Auteur(s) :
Michel Freiss est Maître de conférences en linguistique et didactique de l'anglais, et formateur ESPE à l'Université des Antilles.
Copyright(s) :
© Sasun Bughdaryan / Adobe stock.com
> Mythes et réalités : L’apprentissage des Langues
> Neurodidactique de l’anglais oral : mise en pratique